Irvin Yalom est un auteur, psychothérapeute et professeur de psychiatrie américain que j’affectionne beaucoup, tant ses romans sont épris de psychologie et de philosophie. Je n’avais encore jamais lu l’un de ses essais. Thérapie existentielle est certes le plus long (mille pages) mais il est particulièrement facile à lire. Dans cet ouvrage, il délivre les messages au cœur de sa pratique humaniste, parmi lesquels l’angoisse de mort. J’ai eu envie de résumer les points-clefs des quatre cent pages dédiées à ce sujet.
Selon I. Yalom, l’angoisse de mort, c’est-à-dire la conscience refoulée de notre finitude, serait au centre de notre psychopathologie. En d’autres termes, si nous savons, intellectuellement, que nous allons toustes mourir un jour, nous sommes toustes dans le déni de cette connaissance tant elle est intolérable. Ce déni, en soi, est sain, car il nous permet, normalement, de fonctionner au mieux. Chez certaines personnes, en revanche, une manifestation viscérale de l’idée de mort vient toquer à la porte de notre conscience, à des moments de notre vie où nous ne sommes pas en mesure de mettre en place des défenses efficaces. Il en résulte alors un développement de névroses ou psychoses et un fonctionnement pathologique (anxiété, dépression, troubles de personnalité, difficultés interpersonnelles, troubles du sommeil, schizophrénie, etc.).
Nous sommes donc ici dans un paradigme psychanalytique. Yalom adopte la plupart des présupposés de Freud (l’inconscient, le refoulement, les mécanismes de défense, le transfert, l’interprétation des rêves…) mais considère que certains concepts fondateurs (conflit œdipien, angoisse de castration) sont en réalité des angoisses de mort cachées. Comment est-il possible que Freud, ses successeurs et les psychanalystes après lui aient pu passer à côté d’un sujet si massif et, d’après la démonstration de Yalom, si évident ? Le déni. Le déni nous touche toustes, en tant qu’humain-e-s, et les thérapeutes n’y font pas exception.
Si ma pratique ne s’inscrit pas franchement dans les théories psychanalytiques, j’ai été sensible aux démonstrations de Yalom, globalement convaincantes, avec force cas cliniques et études scientifiques, même si je reste dérangé par le ton presque prophétique qu’il utilise : il ne remet pas en cause une seule seconde sa théorie, en n’envisageant même pas les limites de celle-ci (comme on le fait en recherche scientifique), et en faisant même preuve de mauvaise foi à un moment (il adopte un discours contraire à ce qu’il dit partout ailleurs pour aller dans le sens de sa démonstration pages 316-320). La thérapie centrée sur l’angoisse de mort reste une théorie dont le mécanisme principal est l’interprétation. Cela étant dit, je dois avouer que j’ai pu faire des liens entre ce qui est exposé dans l’ouvrage et plusieurs de mes patient-e-s. Dans le domaine du handicap mental, préoccupations morbides et maladie sont extrêmement présentes, évoquées bien plus souvent et plus vigoureusement que par les individus vivant sans déficience intellectuelle ou handicap psychique. De même, il m’a été facile de relier bon nombre de symptômes anxieux et comportements “problématiques” des patient-e-s vivant avec une pathologie somatique.
Dès lors, comment faire face à l’angoisse de mort ? Malheureusement, les réponses à ces questions sont, à mon goût, trop peu développées par Irvin Yalom. En tant qu’humain-e, comme souvent, c’est finalement la confrontation à ce qui nous fait peur qui permet de le digérer. L’évitement de nos émotions négatives, à mon sens, n’est pas une option. Ainsi, c’est par une prise de conscience progressive de la mort, en en parlant, en lisant (essais, philosophie, fictions…) que celle-ci paraîtra plus tolérable. Paradoxalement, c’est en ayant la vie la plus riche possible, en accord avec nos souhaits et nos valeurs, que l’on développe une plus grande tolérance à cette idée de mort. Comme si nous ne pouvions plus avoir de regrets tant nous aurions profité du buffet de la vie quand viendra l’heure de quitter la table. En tant que thérapeutes, cela signifie que nous devons accompagner les personnes vers la vie riche qui leur convient (Yalom ne la cite pas, l’écrit étant antérieur à cette thérapie, mais on retrouve pleinement l’une des idées fondamentales de l’ACT). Cela passe par des thérapies individuelles ou de groupe, l’analyse des composantes de la peur, un travail sur le contrôle et l’impuissance, tout ceci dans le but “d’identifier, d’éclairer et de dissiper ces fantômes du passé”.
Yalom, I. (2017). Thérapie existentielle. Le Livre de poche.