Ce premier trimestre de 2021 a été marqué au niveau télévisuel par le succès phénoménal de la série télé d’Arte, En Thérapie, d’Eric Toledano et Olivier Nakache. A l’heure où j’écris ces lignes, 41 millions de personnes ont suivi les entretiens menés par le docteur Dayan (Frédéric Pierrot) avec Ariane (Mélanie Thierry), Adel (Reda Kateb), Camille (Céleste Brunnquell), Léonora (Clémence Poésy) et Damien (Pio Marmaï), ainsi que les supervisions faites par Esther (Carole Bouquet). Autant de téléspéctateur-ice-s, en replay, en exclusivité sur Arte.tv ou sur la chaîne, c’est colossal. Or, une part de moi est dérangée par cette vision de la thérapie dans laquelle je ne me retrouve pas.

En Thérapie est l’adaptation d’une série israëlienne, Betipul, qui avait déjà subi un remake américain en 2008, sous le nom de In Treatment. J’avais regardé avec grand plaisir cette version. Je me suis d’ailleurs amusé à comparer le premier épisode de In Treatment avec celui d’En Thérapie, en les visionnant l’un après l’autre, et j’ai constaté qu’à part quelques détails, éléments de contexte (les attentats du 13 Novembre) et l’ajout d’interprétations psychanalytiques, les dialogues étaient les mêmes. La suite de l’adaptation française, en revanche, s’est bien détachée de son homologue américaine.

La première chose qui m’a frappé en regardant la série c’est à quel point les patient-e-s faisaient preuve d’agressivité (Philippe Dayan aussi lorsqu’il prend la position de patient). Cela est probablement dû aux ressorts narratifs de la série, et je n’ai pas du tout retrouvé la qualité des interactions que j’ai habituellement avec mes patient-e-s. Bien entendu, des mouvements agressifs peuvent exister, mais je me suis amusé à constater ce décalage : beaucoup des patient-e-s du docteur Dayan partent avant la fin des courts entretiens en colère alors que les mien-ne-s resteraient volontiers plus longtemps.

Alors bien sûr, quand une série avec ce sujet devient aussi populaire, l’entourage nous en parle et nous questionne pour savoir si l’on travaille de la même façon que le personnage principal. Eh bien, non ! Déjà, Philippe Dayan est psychiatre, il est médecin, il peut donc prescrire des médicaments, ce que les psychologues ne peuvent pas faire. Il a été formé en tant que médecin avant tout puis s’est spécialisé en psychiatrie, dont la particularité est de pouvoir poser un diagnostic et proposer des traitements médicamenteux adaptés. Ensuite, il est psychanalyste, il adopte donc une méthode, parmi tant d’autres, d’intervention psychologique. La psychanalyse est fondée sur les théories de l’inconscient et dont le mécanisme principal d’intervention est l’interprétation (des rêves, des lapsus, des actes manqués, des associations libres, du transfert, etc.). Si ma pratique se nourrit de quelques prémisses psychanalytiques, je considère que c’est une théorie, qui n’est ni plus ni moins vraie que les autres, au profit d’une approche qui prend ses racines dans plusieurs courants psychologiques. En outre, je considère l’interprétation comme un outil limité. Si elle permet de formuler des hypothèses sur nos comportements, elles doivent rester à cette place et ne constituent pas, en soi, une vérité (puisqu’invérifiable). C’est là que je me suis profondément senti en désaccord avec ce qui était montré dans la série : Dayan impose ses interprétations, sa vision des choses, aux patient-e-s (qui, du coup, comme je le disais plus haut, réagissent avec véhémence). Dans mes consultations j’ai adopté un principe de coconstruction : si je formule une hypothèse, elle doit être validée par les patient-e-s. Je suis certes un expert de l’esprit mais les patient-e-s sont les expert-e-s de leur vécu.

Cela étant dit, comme le souligne le psychiatre Jean-Victor Blanc, le personnage incarné par Frédéric Pierrot partage ses interprétations avec ses patient-e-s, ce qui n’est pas toujours le cas des professionnel-le-s de la santé mentale. Dayan est un thérapeute qui échange, qui est loin d’être mutique, tout en laissant la place aux personnes pour s’exprimer. De plus, il fait preuve d’une grande bienveillance envers ses patient-e-s et propose aussi une modalité de travail en face à face et pas uniquement sur le divan comme dans une cure type (spécifique à la psychanalyse). Sur ces points-là, je me suis senti en accord avec ce qui était montré.

Au final, bien sûr, j’ai apprécié regarder cette série et je me suis réjoui que la thématique des consultations psychothérapeutiques ait eu autant de succès, mais je déplore qu’on n’ait pas choisi une orientation théorique et pratique plus ouverte, telle qu’elle est de plus en plus enseignée à l’université.

Pour visionner la série, rendez-vous sur le site d’Arte.tv.

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